Spécialiste de la sphère intime et ses dysfonctionnements, le Belge Joachim Lafosse s’immisce dans une famille bourgeoise où la loi du silence couvre le chef de famille. En résulte un thriller psychologique porté par Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil. Rencontre.

Ce n’est pas la première fois que vous travaillez à partir d’un fait divers. Qu’est-ce que cela implique, pour un cinéaste ?

Le film est inspiré d’un fait divers belge qu'on a appelé l'affaire Hissel, du nom de l’avocat d’enfants victimes de Marc Dutroux, lui-même inculpé pour détention d'images pédopornographiques. Ceci dit, le travail objectif des journalistes ne fait pas un film. Ce qui a stimulé mon désir, c’est l'empathie pour un adolescent [le fils de l'avocat, condamné pour tentative d'assassinatcsur son propre père, ndlr.] qui vivait dans un climat terrible. Très vite, la question du silence est arrivée… et le personnage de la mère. Je me suis dit qu’elle était avant tout victime, mais une victime en proie au déni.

Le film dresse un constat tragique sur la cellule familiale.

J’ai voulu montrer à quel point le crime engendre un venin qui contamine. Le film pose une question morale : ce silence est-il coupable ? Dans notre vie, y compris dans notre enfance, on a tous surpris un acte répréhensible. On s’est tous demandé : "Est-ce que j’en parle, est-ce que je me tais?"

On a le sentiment que vous avez beaucoup procédé par soustraction. Qu’est-ce qui a motivé une telle rigueur ?

Trois éléments se sont imposés à moi : m’interdire de filmer le crime, travailler sur le hors-champ, rester sobre et nuancé. Chercher une forme qu’on dirait aujourd’hui classique. J’ai pensé à Alfred Hitchcock, à James Gray, à Claude Chabrol parfois. Avec mon chef opérateur Jean-François Hensgens, nous nous sommes dema,dé comment traduire le silence en images. Pour nous, c’était l’ombre : c’est l’histoire d’un homme qui cherche la lumière comme un masque, pour éblouir à l’extérieur, mais qui cherche l’ombre dès lors qu’il se planque chez lui.

Comment avez-vous dirigé Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil, qui incarnent quelque chose de très subtil ?

Aux répétitions, Emmanuelle m’a tout de suite parlé de la honte. Et elle l’a incarnée avec un talent fou: à travers une voix qui se perd, un halètement, un sanglot qu’on retient… En même temps, il fallait que ce silence soit tenable. Qu’on sente à quel point le bavardage est futile en parallèle, qu’il relève du commentaire; du comment faire taire. Daniel, au-delà de sa rigueur, m’a beaucoup ému par son souci du dialogue entre cette femme et le spectateur. C’était ma première préoccupation: faire en sorte qu’on ne la juge pas.

Un silence est habité par une tension digne d’un thriller. Pourtant, vous y représentez un mal presque invisible.

La perversion n’a pas le visage d’un monstre. Si elle se dévoilait, on ne se ferait pas avoir. (Rires.) L’avocat, le père de famille, s’en sort typiquement parce qu’ il connaî t la force du patriarcat. C’est une force qui nous fait croire qu’on peut avoir confiance; or, la confiance ne se donne pas, elle se vérifie. Ce qui était passionnant, et l’époque nous en montre plein, c’est à quel point le coupable use également du masque médiatique. Il est redoutable parce qu’il maîtrise le langage, il est séduisant, il rassure…

On n’est pas loin d’Élève libre, votre quatrième film, qui questionnait l’emprise exercée par un homme sur un adolescent. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous pencher sur ces thématiques ?

Ce film est autobiographique. Lorsqu’il est sorti en 2009, j’ai pensé que les concernés reviendraient m’en parler… Mais personne ne m’a rien dit. Jusqu’à ce que quelqu’un m’appelle, très ému. Il m’a dit : "Des tas de gens m’ont déconseillé de voir ton film. J’aurais dû le faire plus tôt, je suis vraiment désolé. Comment vas-tu ?" Ce jour-là, j’étais en train d’écrire Un silence. À l’époque, beaucoup de spectateurs d’Élève libre ne voyaient pas où était le problème; je n’entends plus ce discours aujourd’hui. C’est qu’on vit une époque magnifique à cet endroit! Je la cite souvent, mais je dois beaucoup à Christine Angot : depuis 30 ans, elle dit dans une œuvre la nécessité d’interroger cette domination.

Cet article est issu du Mag by UGC.

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