Gustav Borg est un maître du septième art scandinave,mais aussi un père absent. Par le passé, il a réalisé plusieurs films d’auteur marquants avec Nora, l’une de ses deux filles, comme actrice. Si cette dernière poursuit une carrière de comédienne au théâtre, son père a disparu de sa vie.À 70 ans, Gustav va pourtant faire sa réapparition. Le voilà prêt à mettre en scène son film le plus personnel et solder les comptes de son passé.

Pourquoi y aller :
Longtemps favori pour la Palme d’or du dernier Festival de Cannes, avant de finalement repartir avec le Grand Prix, Valeur sentimentale ressemble au film le plus essentiel de son auteur, le Norvégien Joachim Trier (Oslo, 31 août, Julie en 12 chapitres). Cela tient aux subtiles références au théâtre de Tchekhov, mais aussi à la plus parfaite distribution qui soit dans un film européen (Stellan Skarsgård, Renate Reinsve et Elle Fanning au sommet). Dans cette histoire de lien entre un père – cinéaste, insaisissable, encore hanté par le suicide de sa mère – et une fille – comédienne, névrosée, lecœur en lambeaux –, aucun pathos, mais un dosage idéal en mélancolie. À part Pedro Almodóvar, on ne voit personne d’autre que Joachim Trier pour prétendre au titre subjectif de dernier grand sentimental du cinéma d’auteur européen.

ENTRETIEN AVEC JOACHIM TRIER 
Vous dites que la chose la plus difficile à trouver pour Valeur sentimentale a été de la maison où se déroule l’action. Pourquoi?
Avant de fixer mon choix, j’ai dû visiter 400 maisons. Une véritable épreuve pour l’équipe du film et en particulier pour mon scénariste et meilleur ami Eskil Vogt: «Oh non! Joachim va encore jouer à l’agent immobilier et nous parler de poutres apparentes et de vis-à-vis pendant des heures. » (sourire) La maison est l’un des éléments centraux du film. J’ai l’impression que l’on comprend mieux la famille dont parle Valeur sentimentale – en premier lieu, la figure du père cinéaste, Gustav, et ce qu’il a traversé enfant – à travers l’agencement du salon, de la cuisine et la manière dont certains meubles ont été choisis… En tant que spectateur, j’ai parfois du mal avec les choses trop frontales, les personnages trop caractérisés. Comment filmer les sentiments sans être trop psychologisant? Le décor d’une maison ou même l’utilisation d’une chanson dans le bon tempo peuvent offrir bien des solutions. Pour capturer la mélancolie, c’est même idéal. 

La mélancolie, justement, est un sentiment qu’on retrouve souvent dans vos longs-métrages, d’Oslo, 31 août à Valeur sentimentale, en passant par Julie en 12 chapitres. Qu’est-ce qui vous intéresse dans son exploration?
Je ne sais pas si mes films sont réellement mélancoliques. En revanche, je dirais qu’ils ont été construits autour de personnages cherchant à rattraper des années de temps perdu en seulement quelques jours ou quelques semaines… Le Anders d’Oslo, 31 août ressent cette urgence ; la Julie de Julie en 12 chapitres, également, même si, dans son cas c’est plus léger.(sourire) Valeur sentimentale, pour moi, pourrait se résumer ainsi : deux sœurs qui ont grandi ensemble, mais restent très différentes, réalisent qu’elles ont peu de temps pour se réconcilier avec leur passé et avec leur père. Récemment, j’ai revu mes premiers films à l’occasion d’une rétrospective. Dedans, on y trouve nombre de jeunes gens de 20 ans, pleins de vie, beaux, et prometteurs. Pourtant, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander: et dans vingt, trente ou quarante ans, à quoi vont-ils ressembler? Le cinéma c’est vraiment l’art de la mélancolie en action. 

C’est aussi en fonction de la mélancolie qu’elles dégagent que vous choisissez avec une telle précaution les chansons qui rythment vos films? Valeur sentimentale a une coloration très folk et soul grâce aux morceaux d’artistes oubliés comme Terry Callier ou Labi Siffre…
Jusqu’à récemment, et ma paternité, j’ai partagé ma vie entre mon métier de réalisateur et celui de DJ. Le plus souvent je mixais de la house et du disco. De ma petite cabine, j’adorais observer les gens sur le dancefloor. Leurs expressions, leurs mouvements, leurs interactions. La musique et la danse leur permettent de redevenir ce qu’ils sont au fond d’eux même. La musique m’a toujours aidé à trouver des idées d’atmosphères, de traits psychologiques à apposer à mes personnages, et même parfois de plans… En trois minutes, une chanson peut exprimer des choses très profondes que les images n’arrivent pas toujours à restituer. D’ailleurs, c’est aussi en pensant à la musique que j’ai réalisé que le titre de ce film, Valeur sentimentale (Sentimental Value, en VO) était le meilleur possible. Il y a une vibration jazz là-dedans que j’aime énormément.

Dans votre jeunesse, vous avez pratiqué le skateboard. Qu’est-ce que ce sport vous a appris dont vous pourriez encore vous servir aujourd’hui dans votre cinéma?
Oh, plein de choses! Cela m’a aidé à devenir quelqu’un de très direct dans mes relations aux gens et donc de savoir gérer un plateau de tournage où vous devez constamment doser la psychologie et le sens politique. (sourire) La pratique du skate vous procure ce sentiment de confiance en vous qui pourra rejaillir ensuite. Vous savez où vous allez, mais, surtout, vous n’avez jamais peur des embûches qui pourraient se dresser entre votre but et vous. L’autre truc important, c’est le style : derrière une caméra, comme sur une planche, tout est question de style. Et pour faire confiance à son style, il faut le travailler et le retravailler. Des écorchures sur les genoux ? Le refus d’un producteur? Pas grave ! Remontez sur la planche, souriez et recommencez à perfectionner votre style…

Avec la place de plus en plus importante occupée par les réseaux sociaux, le monde est devenu de plus en plus polarisé. Pourtant, votre cinéma reste doux et intimiste, comme s’il était imperméable au bruit et à la fureur extérieurs. 
Même si je ne parle pas de sujets de société dans mes films, cela ne fait pas de moi quelqu’un d’hermétique au monde extérieur ou sans jugement autour du bien et du mal. Bien au contraire… Mais c’est vrai qu’on pourrait se poser la question: que vaut un film intimiste sur les rapports entre un père absent et ses filles, au moment où, un peu partout, il y a des guerres injustes et où cet idiot de Trump et les populistes de sa trempe, squattent l’actualité au quotidien, en parlant très fort? Là encore, j’en reviens à ce qui m’a toujours intéressé, au cinéma – que ce soit à travers les films d’Ozu, de Woody Allen, d’Ingmar Bergman et d’autres maîtres: la complexité des sentiments, la tendresse, la rationalité qu’on doit sans cesse opposer à l’irrationalité… Au rythme où vont les choses, peut-être que ce type de cinéma va devenir un refuge. 

Cet article est issu du Mag by UGC
Valeur Sentimentale, un film labellisé UGC Aime, à découvrir actuellement au cinéma. 

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