JEANNE DU BARRY, LE SACRE DU PRINTEMPS

"Un objet magnifique" sur la place des femmes dans l’histoire.

Pour son sixième long-métrage, présenté en ouverture de la 76e édition du Festival de Cannes, Maïwenn délaisse l’introspection et aborde – autant qu’elle incarne – une figure phare de l’histoire de France au féminin. À l’occasion du retour de la subversive cinéaste, zoom sur les trois grands axes qui font de ce film un véritable événement.

UNE ŒUVRE ATYPIQUE

Depuis son premier film Pardonnez-moi, sorti en 2006, Maïwenn s’est imposée comme une figure à part dans le paysage cinématographique français ; ont suivi Le Bal des actrices (2009), Polisse (2011), Mon roi (2015) puis ADN (2020). À mi-chemin entre l’autofiction et la chronique familiale – au sens propre comme au figuré –, le cinéma de la réalisatrice se démarque par une propension à produire de nombreux moments de grâce, rendus possibles par un recours quasi-systématique à l’improvisation qui libère les comédiens de la structure corsetée du dialogue. Au sein de cette œuvre, marquée par une tendance à l’introspection, Jeanne du Barry a tout d’un nouveau chapitre pour la réalisatrice. Dans le sillage de récentes productions historiques françaises – Portrait de la jeune fille en feu, Illusions perdues, Les Trois Mousquetaires... –, Maïwenn signe avec Jeanne du Barry son premier film en costumes et situe son action dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, à l’aube de la fin du règne de Louis XV. Un projet ambitieux au long cours, puisque c’est en 2016 que la cinéaste débute l’écriture de sa propre version de l’histoire de la comtesse. En résulte un objet "magnifique" sur la place des femmes dans l’histoire, d’après le délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux.

UNE ICÔNE HISTORIQUE

Maïwenn est depuis longtemps fascinée par la comtesse du Barry, figure anticonformiste de l’histoire de France. Il faut dire que sa réputation la précède ; en atteste la quantité d’œuvres réalisées à l’étranger lui rendant hommage. Bien qu’il ait fallu attendre 1945 et la sortie de Madame du Barry de Christian-Jaque pour qu’un cinéaste français s’intéresse à sa trajectoire hors du commun, celle qu’on aperçoit même dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola – sous les traits d’Asia Argento – est en effet passée de simple roturière à favorite du roi Louis XV. Née Jeanne Bécu en 1743, cette "fille du peuple" intègre vite les mécanismes de pouvoir en vigueur à son époque. Et sait tirer parti d’un maigre mais redoutable capital de départ: sa grande beauté et son ambition féroce. Deux atouts qui en font une séductrice hors pair auprès des hommes de la haute noblesse. Au point que le comte du Barry lui fasse épouser son frère Guillaume, afin d’en faire une comtesse et de l’imposer à Versailles. Une aubaine pour Jeanne, qu’on pousse alors dans les bras de Louis XV. Surprise : leur rencontre est un coup de foudre, au grand dam d’une cour qui méprise ses origines sociales. Qu’importe, Jeanne Bécu aura érigé ses charmes et sa perspicacité en armes politiques. Le tout au nez et à la barbe des bien nés... et jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir.

UN ACTEUR TRANSFORMISTE

Il a interprété un chocolatier fou, un travesti, un pirate, un gangster... mais il n’avait encore jamais incarné un roi de France. C’est chose faite pour Johnny Depp, sans aucun doute l’acteur américain le plus transformiste de sa génération. Or malgré sa réputation, on n’imaginait pas le célèbre caméléon enfiler les oripeaux du monarque Louis XV. La faute à une filmographie hollywoodienne pléthorique et déjantée, loin des radars du cinéma français ? Et pourtant; pour le premier film de sa carrière qu’il tourne dans l’Hexagone – et après une longue pause hollywoodienne –, l’acteur a choisi les atours d’un roi tout-puissant et la caméra de Maïwenn. Peu surprenant lorsqu’on considère la solide réputation de la cinéaste outre Atlantique, où l’on envie sa liberté de ton – dans un entretien accordé en 2019 à Paris Match, la superstar Robert Pattinson témoignait d’ailleurs son admiration pour Maïwenn. Ni lorsqu’on sait le goût de Johnny Depp pour les métamorphoses en tous genres. Une manière d’échapper aux assignations dont il fit l’objet dès les années 1990, catalogué malgré lui par une industrie en quête de sex-symbols. Ainsi le rôle d’un monarque en constante représentation lui sied à merveille, comme la suite logique d’une carrière passée à se travestir pour mieux se réinventer.

Cet article est issu du Mag by UGC.

Jeanne de Barry, à découvrir actuellement dans nos cinémas. Ce film a reçu le label UGC M.