PARTIR UN JOUR
Lauréate de Top Chef, Cécile s’apprête à ouvrir son restaurant, mais n’a pas décidé de son « plat signature ». Suite à l’infarctus de son père, elle met le cap sur la région qui l’a vue grandir, le Loir-et-Cher. Mais comment s’acclimater de nouveau à ses parents, propriétaires d’un restaurant routier ? Et que faire quand Raphaël, son amour d’adolescence, pointe le bout de son nez ?
Pourquoi y aller : Avant d’être le premier film d’Amélie Bonnin, prêt à faire souffler un vent de fraîcheur sur le cinéma français, Partir un jour était un tube des 2B3, boys band reconnaissable à ses chemises ouvertes sur de gros pectoraux. « Partir un jour, sans retour », c’est le refrain qu’a dû fredonner Cécile (la chanteuse Juliette Armanet pour ses vrais débuts au cinéma) au moment de quitter sa vie en province pour Paris.
Désormais lauréate de Top Chef, voilà la jeune quadragénaire de retour dans son Loir-et-Cher natal pour visiter ses parents. Un moment de vie en forme de parenthèse existentielle qu’Amélie Bonnin a su transformer en film pop, à mi-chemin entre la comédie musicale et la chronique sociale.
En plusieurs séquences et tubes – de Stromae à Axelle Red en passant par « Ces soirées-là » de Yannick –, Cécile redécouvre, au présent, les motifs de son passé : le restaurant routier des parents, la patinoire, la discothèque, les copains d’avant… Et même son grand amour de jeunesse, incarné par le parfait Bastien Bouillon. Il n’a pas trop changé, mais ne peut toujours pas s’empêcher de cacher ses sentiments sous des tonnes de gouaille. Et si ce film cochait assez de cases pour charmer autant les nostalgiques du On connaît la chanson d’Alain Resnais que les aficionados des romans de Nicolas Mathieu ? Quand le cinéma français se met à la hauteur d’une chanson populaire, c’est déjà un hit-single.
ENTRETIEN AVEC AMÉLIE BONNIN
Le 10 avril, lors de la conférence de presse du 78e Festival de Cannes, son délégué général, Thierry Frémeaux, annonce que ton premier film fera l’ouverture. La surprise a été totale ?
Être en ouverture de Cannes reste hyper surprenant. Déjà parce que j’avais demandé aux gens de la distribution et de la production de Partir un jour de ne pas me tenir au courant des éventuelles discussions ou tergiversations concernant une éventuelle participation du film au festival. Dans le cinéma, il y a trop d’histoires où tu te fais encenser, tu te mets à espérer, mais, in fine, tu ne vas pas apparaître sur la photo de famille. La veille de l’annonce du festival, j’ai reçu vers minuit le coup de fil des producteurs pour m’annoncer que le film était pris en ouverture. J’avoue que je n’y croyais pas. Ça me paraissait trop hors-sol. Il n’y a jamais eu de premier film à cette case-là. On m’avait dit que si jamais on était sélectionné à Cannes, peut-être qu’on intégrerait une sélection parallèle, mais seulement après négociation. Franchement, j’aurais déjà été plus qu’heureuse.
Justement, comment se déroule une journée particulière où l’on apprend que son premier film va être au Festival de Cannes ?
Avoir été choisi pour l’ouverture de Cannes le 13 mai signifie aussi que le film doit être visible sur les écrans de cinéma le même jour. Résultat, on doit avancer la sortie de Partir un jour, telle qu’elle avait été prévue, d’un bon mois et demi. Le matin de l’annonce, j’étais en train de finir le générique sur motion designer. Il devait être 11 h 30 et le téléphone s’est mis à sonner sans discontinuer : des félicitations, des sollicitations. La veille, au moment où les producteurs nous confirment que le film va être à Cannes, mon compagnon Dimitri (Lucas, coscénariste du film, ndr) et moi avons passé pratiquement toute la nuit à sourire sans rien dire. Comme dans un état second.
Jusqu’à présent, que signifiait pour toi le Festival de Cannes ?
Quelque chose d’assez abstrait. (sourire) J’y avais été en tant que spectatrice il y a quatorze ans, puisque mes parents avaient obtenu des places pour des projections. Je me souviens avoir vu Amour (de Michael Haneke), qui m’avait énormément marquée, mais aussi le film de Leos Carax Holy Motors et celui de David Cronenberg avec Robert Pattinson assis dans une limousine (Cosmopolis), qui m’avait plutôt impressionné également. À cette époque, je n’ai pas encore de connaissance du cinéma d’auteur et forcément, on se sent privilégié de voir ça. Pour moi, Cannes c’est le seul endroit où tu peux être exposé à des longs-métrages exceptionnels et hors du circuit. Alors forcément, quand j’apprends que, moi aussi j’y ai ma place…
Au départ, Partir un jour est un court-métrage qui a remporté le César en 2023. À quel moment as-tu réalisé que ce film pourrait devenir ton premier long-métrage ?
Faire des films, c’est plus de l’ordre de la nécessité que du plan de carrière. La seule certitude que j’aie c’est que je veux faire de la réalisation. Quand je fais un documentaire, un court-métrage ou un long, j’ai l’impression de participer à un artisanat collectif. Ce sont mes producteurs qui, les premiers, m’ont suggéré de transformer en long le Partir un jour version courte. Un long-métrage pourrait nous laisser la possibilité de développer l’histoire d’amour, tout en étoffant l’arc narratif de la relation aux parents. Moi, j’hésitais un peu. Et puis, un jour, mon compagnon, Dimitri, revient à la maison avec un gros bouquin de photos et de recettes sur les relais routiers. D’un coup, plein de choses se sont imbriquées dans mon esprit. Il me faut toujours une impulsion par l’image.
Ton film raconte le retour dans le Loir-et-Cher d’une cheffe installée à Paris. Comme cette région est aussi celle de ta jeunesse, on, se demande quel rapport tu entretiens avec le lieu qui t’a vu grandir.
J’ai du mal avec le discours implicite selon lequel la province est un calvaire et qu’il existe une meilleure vie ailleurs. Tout n’est pas déprimant en province ! J’avoue que j’ai toujours eu du mal à me projeter dans les histoires de transfuge de classe – le sujet littéraire et cinématographique de ces dernières années. Moi, j’ai quitté Châteauroux pour des raisons d’amitié : ma meilleure copine voulait rentrer à Sciences Po et, pour ma part, rien ne me retenait vraiment. Comme je voulais intégrer une école d’art, je me suis dit : « Pourquoi ne pas la suivre ? » Mais franchement, je n’ai pas fui et j’aurais très bien pu rester dans ma région d’origine. Je ne garde que de bons souvenirs de mon enfance et mon adolescence.
Pourquoi ?
À la maison, on est une famille très unie de cinq personnes. Si je m’en tiens à la légende familiale, j’étais fascinée par un vinyle appartenant à mes parents – le conte Blanche Neige raconté par plusieurs comédiens –, au point de le refaire en public en imitant toutes les voix, et avec certainement quelques variations hypersubtiles par rapport au récit original. Peut-être que ce sont là mes vrais débuts de réalisatrice.
Sous la forme d’une comédie musicale, Partir un jour s’intéresse aux vies loin de Paris. As-tu l’impression qu’avec des films récents, tels Le Roman de Jim, Vingt Dieux ou La Pampa, un cinéma français moins « parisiano-centré » devient possible ?
Je fais partie de ces gens qui ont découvert Paris et l’existence des appartements haussmanniens en regardant des films. Les personnages principaux n’avaient pas de métier, mais avaient l’air très à l’aise financièrement. Chez eux, les plafonds étaient hauts. Bon, j’exagère sans doute un peu, mais le ressenti d’un cinéma qui n’a lieu d’être qu’à Paris existe vraiment quand tu grandis loin de la grande ville. L’autre jour, j’écoutais un podcast où les scénaristes de Vingt Dieux et de L’Histoire de Souleymane avaient été invités. À un moment la journaliste leur dit : « Formidable, vous avez tous les deux fait des films sociaux ! » Et là, les scénaristes de Vingt Dieux ont dû la reprendre : « Mais ce n’est pas parce que notre film se passe à la campagne que ça en fait un film social ! » J’ai trouvé ça très juste. Peut-être qu’une nouvelle génération de cinéastes va se sentir autorisée à entrer dans le cinéma à partir du moment où on lui montre d’autres réalités, et surtout qu’on ne fait pas de ces réalités un drame. Si Partir un jour participe à ce mouvement, j’en serais heureuse.
Cet article est issu du Mag by UGC.
Partir un jour, à découvrir actuellement au cinéma.